par Henri Weber, université de Montpellier III
Ce double assassinat pourrait faire l’objet d’une tragédie. Plusieurs ont été composées et représentées sur ce sujet dans la première moitié du XIXe siècle mais aucune n’a survécu.
Ce qui fait d’Henri de Guise un héros tragique (gravure 1), c’est d’abord la malédiction qui semble peser sur cette famille : son père François a été assassiné par un protestant en 1563, lui-même a été averti à maintes reprises du projet d’assassinat médité par Henri III, dont il n’a jamais voulu tenir compte. Enfin, le roi assassin sera lui-même assassiné et, finalement, tout le bénéfice de ces crimes reviendra à un tiers, le futur Henri IV. Bien entendu, la trame de cette tragédie doit tout son intérêt aux motivations psychologiques et politiques des protagonistes. Dans le conflit qui oppose le roi et la Ligue, c’est l’existence même de la royauté absolue qui est en jeu et l’on voit se mêler inextricablement les motifs religieux et les motifs politiques.
(Gravure 2) Pour comprendre l’assassinat, sans l’excuser, il faut suivre le long enchaînement des événements qui y conduisent. La Ligue nobiliaire, fondée à Péronne, en 1576, qui prend une nouvelle force dans les années quatre-vingt, est, avant tout, une association de catholiques zélés, désireux de combattre l’hérésie par les armes. À la mort du duc d’Anjou, frère du roi, en 1584, quand Henri de Navarre, le chef des troupes protestantes, devient l’héritier le plus proche du trône, la Ligue s’oppose à toute tentative de négocier avec lui et ne reconnaît comme héritier possible que le cardinal de Bourbon, l’oncle d’Henri de Navarre. Henri III sait que s’unit à ces motifs religieux un désir de maintenir les privilèges locaux de la noblesse contre l’absolutisme royal et, chez les Grands, comme les Guise, un désir de partager le pouvoir dont ils ont été écartés par l’ascension des favoris dont le plus éminent est d’Epernon, contre lequel va se concentrer la haine des ligueurs.
En 1584, à la mort du duc d’Anjou, se constitue une Ligue parisienne et bourgeoise qui va gagner d’autres villes du Royaume et s’allier à la Ligue nobiliaire par l’intermédiaire du duc de Guise. Les motivations religieuses sont les mêmes, les principales revendications politiques des bourgeois sont la diminution des impôts, des contributions forcées qui ne cessent de croître avec les frais de la guerre, l’accroissement de la dette et les dépenses de cour. Le clergé, lui aussi fortement taxé, devient le principal propagandiste de la Ligue. Les curés parisiens enflamment la foule contre les hérétiques et les favoris du roi.
En décembre 1584, les Guise, au nom de la Ligue, signent avec Philippe II un traité secret par lequel celui-ci s’engage à reconnaître le cardinal de Bourbon comme l’héritier du trône et à accorder à la Ligue un subside de 100 000 écus par mois pour extirper définitivement l’hérésie. La Ligue mobilise sa clientèle dans les villes de province dont la famille des Guise a le gouvernement. Elle recrute des Suisses et quelques reîtres. Le roi, qui a échoué dans des négociations secrètes pour la conversion d’Henri de Navarre, cède à la pression des Ligueurs, il interdit l’exercice de la religion réformée sur tout le territoire, ce qui déclenche les hostilités.
Les protestants obtiennent le secours d’une armée de reîtres payée par Élisabeth d’Angleterre. Henri III et le duc de Guise, chacun à la tête d’une armée, se portent au devant des reîtres. C’est le duc de Guise qui les met en déroute à Auneaux et à Vimory. Sa victoire le rend plus populaire que jamais, tandis que le roi est accusé de temporiser.
Les années 1586-1587 sont des années de disette avec des émeutes de la faim. La Ligue parisienne se donne une organisation militaire avec un colonel pour chaque quartier et des capitaines dans leurs subdivisions. L’Espagne prépare l’invincible Armada contre l’Angleterre et talonne les Guise pour qu’en France le Concile de Trente soit reconnu et appliqué.
À la fin avril 1588, le roi est informé d’un complot pour s’emparer de sa personne, par Nicolas Poulain, un des fondateurs de la Ligue parisienne, passé secrètement au service du roi. Il s’agit d’abord d’enlever le roi lorsqu’il traversera la ville pour se rendre à Vincennes avec d’Epernon. Un autre projet serait d’attaquer le Louvre pour s’emparer du roi. La reine mère, qui veut se servir des Guise pour rétablir son crédit auprès d’Henri III, tente de le persuader que ces bruits sont sans fondement, c’est du moins ce qu’affirme l’historien R. C. de Thou, conseiller au Parlement de Paris, puis conseiller d’État à partir de 1588, chargé par la suite de nombreuses missions diplomatiques. L’Estoile n’y fait qu’une brève allusion.
Ce qui est certain, c’est que le roi veut faire arrêter les principaux responsables de la Ligue parisienne et fait venir, dans les faubourgs de Paris, quatre mille Suisses et plusieurs bataillons de sa garde. Les ligueurs, inquiets, vont trouver, à Soisson, le duc de Guise pour le supplier de venir à Paris empêcher les manœuvres royales. De son côté, le roi envoie Bellièvre auprès du duc pour lui demander de ne pas venir. Bellièvre n’obtiendra qu’une réponse ambiguë ; une seconde mission donne l’ordre précis au duc de ne pas venir. En même temps, le roi cherche à s’assurer la fidélité de certains échevins et de quelques capitaines de quartier.
L’auteur du Récit véritable de ce qui s’est passé dans cette ville de Paris depuis le 7 mai 1588, un fervent ligueur, y voit une véritable conjuration contre les « bons catholiques ». Mais le duc de Guise vient à Paris, il reçoit un accueil triomphal dans les rues Saint Denis et Saint Honoré. Une demoiselle s’écrie : « Bon Prince, puisque tu es là, nous sommes tous sauvés » ; le duc de Guise se rend directement chez la reine mère, pour qu’elle l’accompagne chez le roi et l’aide à apaiser sa colère. Le roi, prévenu de cette visite, se serait écrié, selon le récit de son médecin Miron : « Par Dieu, il en mourra ». Selon l’Estoile, il fait venir le colonel Alfonso Corso et lui demande : « Que feriez-vous à ma place ? » Le colonel répond que, si le roi le désire, il lui apportera le jour même la tête du duc. « Non » dit le roi, « je pourvoirai à tout par un autre moyen. »
Henri III accueille ensuite le duc de Guise qui s’efforce d’excuser sa désobéissance par la nécessité de se justifier auprès du roi des calomnies qui courent sur son compte et de l’assurer de sa totale fidélité. La reine mère intervient dans le même sens. Dans la soirée, le roi fait venir au cimetière des Innocents plusieurs compagnies et milices de quartier jugées fidèles, avec l’ordre de se tenir prêtes à toute éventualité. Mais les ligueurs débauchent plusieurs compagnies et leur demandent de se rendre rue Saint Honoré et rue de Fouarre. D’O, intendant des finances et gouverneur de l’Ile-de-France, est envoyé sur les lieux vers trois heures du matin, il constate les désertions, se rend au logis du commissaire de quartier et lui demande les clefs de la porte Saint Honoré, par laquelle les Suisses et les compagnies de gardes vont entrer dans Paris.
Mise en ligne : mercredi 25 septembre 2002.